Bantou éducation
Rina Sherman
films urbains – urban films
art in Africa – art en Afrique
S8 mm/video, 30 mn, VF & EV, 1994
Bantou éducation est un aperçu intimiste d’un certain monde africain à Paris. Sud Africaine, styliste, Meisie Mosimane ou Sister Bucks, vient à Paris pour faire confectionner des vêtements par des couturiers maliens installés dans le quartier de la Goutte d’or. Sans parler un mot de français et, avec seulement quelques adresses en poche, Meisie se retrouve perdue à Denfert Rochereau le jour de son arrivée. C’est le début d’une aventure parisienne qui va durer deux semaines…
Passant en voiture, un homme africain la remarque et propose de l’emmener à sa destination. Monsieur Ibouroi, qui ne parle pas l’anglais, est originaire des îles Comores et, se souvenant encore du désarroi de sa propre arrivée à Paris, une vingtaine d’années auparavant, porte un regard compatissant sur cette femme, arrivée tout de go dans la capitale française. C’est le début d’une amitié, mais aussi d’une collaboration. Sans langue commune, Ibouroi devient le partenaire privilégié de Meisie lorsqu’elle veille sur les travaux des couturiers… Mais plus encore, ensemble, ils élaborent le projet d’acheter une machine à broderie que Meisie compte ramener avec elle en Afrique du Sud.
Lors de son séjour à Paris, Meisie habite chez moi. Le jour même de son arrivée, est évoquée, l’idée d’un film. Sous les toîts de Paris, quelques jours plus tard, tout en la filmant, nous abordons les problèmes liés à son projet, nous comparons nos choix de vie et nos origines respectives. Parfois, Meisie m’interroge sur mon exil et un éventuel retour en Afrique du Sud. Puis, tout en la filmant, je l’accompagne dans sa découverte de la vie des africains en site urbain; parfois seule, parfois en compagnie de Johan, poète afrikaans de Durban, en visite à Paris pour la première fois. Quelque peu provocateur, Johan la sonde sur ses sentiments : comment vivre en Afrique du Sud lorsque l’on est une “personne de couleur”, l’éducation des enfants, les rapports homme-femme… Au nord de Paris, elle rencontre une camerounaise, Mado, coiffeuse, qui lui fait des démonstrations de confection de nattes tout en chantant des chansons traditionnelles de son village. Mado aussi, nous raconte sa vie au village, puis à Paris…
Si Bantou éducation est un film qui porte sur la chance que peut apporter une rencontre de hasard, c’est aussi un film sur l’amitié entre deux femmes sud‑africaines, Meisie et moi-même. Originaire d’un même pays, mais de mondes à part, nous nous sommes rencontrées en Afrique du Sud lors de mon voyage de retour après sept ans d’exil à Paris. C’était la veille de mon retour en France et nous ne nous sommes plus quittées jusqu’à l’heure du départ. Aussi, pendant ces deux journées passées ensemble à Johannesbourg et à Soweto, Meisie est devenue l’un des personnages principaux d’eKhaya retrouvée, pays d’ombres, un film documentaire que j’y tournais sur mon retour d’exil.
Le séjour de Meisie à Paris est le reflet d’un état d’esprit qu’elle dessine au fur et à mesure qu’elle s’avance dans un secteur d’activités non-formalisé, un terrain vague en plein cœur de Paris. Meisie est pour moi, un de ces rares personnages que l’on rencontre par hasard dans la vie, et qui, face à l’impossible, trouvent en eux-mêmes les ressources nécessaires, non seulement pour continuer, mais pour réussir.
Rina Sherman
Paris, mars 1994
Note
Si je dois remonter vers les sources qui m’ont inspirée dans la réalisation de films documentaires, une influence importante a son origine dans une phrase lue par hasard à Johannesburg peu de temps avant de quitter le pays : « Filmer la réalité provoquée par la présence d’une caméra m’intéresse plus que de la filmer telle quelle. » Quelques mois après mon arrivée à Paris, l’auteur de ces mots, Jean Rouch, est devenu le directeur de recherche d’une thèse de doctorat soutenue en 1990.
Ainsi s’est amorcée une longue réflexion portant aussi bien sur le contenu que sur la forme de ce que l’on filme, notamment en ce qui concerne mon sujet principal de recherche, l’Afrique du Sud, pays dont la complexité rend l’approche difficile. Si bien que, j’ai attendu le retour d’exil avant d’aborder la question de manière pratique; le résultat, eKhaya retrouvée, pays d’ombres est un film qui veut avant tout partager l’étreinte d’un tel retour, parfois douce, parfois pénible, face aux moments ordinaires de la vie. Entièrement tourné à la main, en vidéo 8 mm, avec une post-production en Beta SP, si regret il y a aujourd’hui, c’est que ce film n’existe pas sur un support durable. D’autant plus qu’il comprend des moments historiques, comme cette seule et unique conversation entre une fille afrikaner et son père nationaliste au sujet de l’avenir du pays.
Dans l’idée de porter un regard intimiste sur les petites choses dont est tissée la vie sud-africaine, il fallait préserver et la mobilité de tournage, donc la légèreté technique, et la possibilité de filmer dans le temps, donc une procédure peu coûteuse. Si bien que pour le tournage de Bantou éducation, j’ai opté pour le super 8 mm Avec la collaboration de Charles Vaast, inventeur et technicien de cinéma, le film a été tourné en son synchrone. Le son étant repiqué sur bande magnétique 16 mm, un bout à bout des épreuves a été fait sur une table montage 16 mm adaptée à recevoir de la pellicule S8 mm Le transfert en vidéo de ces éléments, permet de faire un pré-montage sans abimer l’original. Par la suite, un système de « time-code » parallèle permet lors du montage final de retrouver les images correspondant à celles que l’on a sélectionnées pendant le maquettage en vidéo. A la suite du mixage son, l’image est gonflée en 16 mm, pour arriver, finalement, à une copie optique en 16 mm du film.
Quand on a le souci d’être le premier spectateur de son film, ce qui permet d’écrire en filmant, tout en restant disponible pour l’interaction avec la personne filmée, ce qui résume l’essentiel de la méthode, cette procédure peut paraître complexe, mais à défaut d’accès au matériel 16 mm dans les conditions exposées ci-dessus, la solution du S8 mm semble actuellement être la seule à pouvoir produire le résultat voulu. Si bien que, ayant passé plusieurs mois à élaborer cette chaîne technique, une recherche pour des films futurs tournés avec le même dispositif est en cours.
Une première idée est un film sur Anne, une femme métisse sud-africaine. Prise comme nurse dans une grande famille à l’âge de douze ans, elle est violée par le fils aîné et rejetée lorsqu’elle donne naissance à un enfant blanc. Anne devient femme de ménage dans une autre famille qui l’emmène à New York lorsqu’ils quittent le pays, il y a vingt ans. Elle y vit toujours, travaille toujours comme femme de ménage mais au cours de sa vie mouvementée elle a su construire une identité indépendante.
Un autre film portera sur l’extase ou plus précisément, ce que l’on croit savoir sur l’état de ravissement des uns et des autres. Aussi, plusieurs parisiens ont déjà donné leur accord pour en parler…
Rina Sherman
Paris, Mars 1994
Avis
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